Pierre Reverdy

Publié le par andoar

Pierre Reverdy est né à Narbonne le 13 septembre 1889. Il a grandit au pied de la Montagne Noire dans la maison de son père. Celui-ci lui a appris a lire et écrire. Il venait d'une famille de sculpteur, de tailleurs de pierre d'église. Toute sa vie en sera marquée par un sentiment de religiosité profonde que l'on retrouve dans sa poésie. Il a poursuivit ses études a Toulouse et a Narbonne.

Il arrive a Paris en octobre 1910. C'est la qu'il rencontre ses premiers amis, a Montmartre, du coté du désormais célèbre bateau-lavoir. Pendant seize ans, il vivra, survivra, pour créer des livres. Ses compagnons sont Picasso, Braque, Matisse, et bien d'autres. Toutes ces années sont liées de près ou de loin a l'essor du Surréalisme, dont il sera l'un des inspirateurs, bien que Reverdy ne s'y liera jamais, il influença part son approche des gens comme Aragon, André Breton ou Paul Eluard. En 1917, il fonde la revue Nord-Sud a laquelle collaborerons Apollinaire, Aragon, Breton, Tzara et bien d'autres.

Puis, en 1926, il choisit Dieu et part vivre à Solesmes, il avait alors 37 ans, il y resteras jusqu'a sa mort, a 71 ans en 1960. La sont nés ses plus beau receuils, tel Sources du vent, Ferraille, le chant des morts... Reverdy est une sorte de mystique de la poésie, son approche du réèl fait pensée aux images de nos cathédrales, a ce foisonnement, cette débauche de formes pour exprimer l'élan mystique des constructeurs.

PierreReverdy/pRever1.jpg

abbaye de Solesmes

 


 

La poésie de Pierre Reverdy est toute empreinte de malaise, de spleen à l'instar de Baudelaire, on y sent un mal-être latent. Reverdy a été l'un des inspirateurs du surréalisme. Voici ce qu'en dit André Breton dans ses entretiens avec André Parinaud en 1932

"Ce qui se prête bien mieux à notre réunion (vers 1919, 1920), c'est la pièce presque nue où nous reçoit Pierre Reverdy, généralement le dimanche. il habite au haut de Montmartre, rue Cortot. à quelque-, pas de la rue des Saules. L'étonnant « climat » qui règne ici, rien ne peut en donner idée comme cette admirable phrase de Reverdy lui-même, qui ouvre La lucame ovale :

« En ce temps-là le charbon était devenu aussi précieux et rare que des pépites d'or et j'écrivais dans un grenier où la neige, en tombant par les fentes du toit, devenait bleue. »

Une telle façon de dire n'a pour moi rien perdu de son enchantement. instantanément, elle me réintroduit au coeur de cette magie verbale qui, pour nous, était le domaine où Reverdy opérait. Il n'y avait eu qu'Aloysius Bertrand et Rimbaud à s'être avancés si loin dans cette voie. Pour ma part, j'aimais et j'aime encore - oui, d'amour - cette poésie pratiquée à larges coupes dans ce qui nimbe la vie de tous les jours, ce halo d'appréhensions et d'indices qui flotte autour de nos impressions et de nos actes. il taillait dedans comme au hasard . le rythme qu'il s'était créé était apparemment son seul outil. mais cet outil ne le trahissait jamais , il était merveilleux. Reverdy était beaucoup plus théoricien qu'Apollinaire : il eùt même été pour nous un maitre idéal s'il avait été moins passionné dans la discussion, plus véritablement soucieux des arguments qu'on lui opposait, mais il est vrai que cette passion entrait pour beaucoup dans son charme. Nul n'a mieux médité et su faire méditer sur les moyens profonds de la poésie. Rien ne devait, par la suite, avoir plus d'importance que ses thèses sur l'image poétique. il n'est, non plus, personne qui, de la longue ingratitude du sort, ait montré un détachement plus exemplaire."

 

outre mesure

Le monde est ma prison
Si je suis loin de ce que j'aime
Vous n'êtes pas trop loin barreaux de l'horizon
L'amour la liberté dans le ciel trop vide
Sur la terre gercée de douleurs
Un visage éclaire et réchauffe les choses dures
Qui faisaient partie de la mort
A partir de cette figure
De ces gestes de cette voix
Ce n'est que moi-même qui parle
Mon coeur qui résonne et qui bat
Un écran de feu abat-jour tendre
Entre les murs familiers de la nuit
Cercle enchanté des fausses solitudes
Faisceaux de reflets lumineux
Regrets
Tous ces débris du temps crépitent au foyer
Encore un plan qui se déchire
Un acte qui manque à l'appel
Il reste peu de chose à prendre
Dans un homme qui va mourir

           **


je suis si loin des voix
Des rumeurs de la fête
Le moulin d'écume tourne à rebours
Le sanglot des sources s'arrête
L'heure a glissé péniblement
Sur les grandes plages de lune
Et dans l'espace tiède étroit sans une faille
je dors la tête au coude
Sur le désert placide du cercle de la lampe
Temps terrible temps inhumain
Chassé sur les trottoirs de boue
Loin du cirque limpide qui décline des verres
Loin du chant décanté naissant de la paresse
Dans une âpre mêlée de rîtes entre les dents
Une douleur fanée qui tremble à tes racines
je préfère la mort l'oubli l'a dignité
je suis si loin quand je compte tout ce que j'aime

                                 **

"le monde comme une pendule s'est arrêté

les gens sont suspendus pour l'éternité"

Alors
je prie le ciel
Que nul ne me regarde
Si ce n'est au travers d'un verre d'illusion
Retenant seulement
sur l'écran glacé d'un horizon qui boude
ce fin profil de fil de fer amer
si délicatement délavé
par l'eau qui coule
les larmes de rosée
les gouttes de soleil
les embruns de la mer

                **

ESPACE

L'ÉTOILE échappé

L'astre est dans la lampe


La main
tient la nuit
par un fil


Le ciel
s'est couché
contre les épines
Des gouttes de sang claquent sur les épines


Et le vent du soir
sort d'une poitrine.

          **

HOMME ASSIS

Le tapis vert couché sous l'âtre c'est un piège.
L'homme au profil perdu s'écarte du mur blanc.
Est-ce le ciel qui pèse aux bras du fauteuil ou une
aile. L'espace devient noir. Les murs sortent des
lignes et coupent l'horizon. Après la course au
faîte des maisons. Après l'espoir de revenir au signe
on tombe dans un trou qui creuse le plafond.
Les mains sortent à l'air. Le visage s'affine et tout
rentre dans l'ordre, le cadre, le repos aux reflets
d'encre et d'or.

                              **

FIGURE

Contre le mur des places vides. On risque de
glisser sur ce plan qui remue. L'ombre soutient le
poids, les doigts percent le nombre.

Il y a un
temps pareil à l'autre, au bout du monde. On
pense à quelqu'un d'autre et, sur le marbre, on
laisse un simple nom, sans préface ni point. Le
portrait de sa vie. Mémoire. Il est content - Tout
ce qui reste encore à faire en attendant.

                          **

LA LAMPE


Le vent noir qui tordait les rideaux ne pouvait
soulever le papier ni éteindre la lampe.
Dans un courant de peur, il semblait que quel-
qu'un pût entrer. Entre la porte ouverte et le
volet qui bat - personne! Et pourtant sur la table
ébranlée une clarté remue dans cette chambre
vide.

                             **

TARD DANS LA VIE


Je suis dur
je suis tendre
Et j'ai perdu mon temps
A rêver sans dormir
A dormir en marchant
Partout où j'ai passé
J'ai trouvé mon absence
je ne suis nulle part
Excepté le néant
1iIaisje porte accroché au plus haut des entrailles
A la place où la foudre a frappé trop souvent
Un cour où chaque mot a laissé son entaille
Et d'où ma vie s'égoutte au moindre mouvement

                        **

Orage


"La fenêtre
un trou vivant où l'éclair bat
Plein d'impatience
Le bruit a percé le silence
On ne sait plus si c'est la nuit
La maison tremble
Quel mystère
La voix qui chante va se taire
Nous étions plus près
Au-dessous
Celui qui cherche
Plus grand que ce qu'il cherche
Et c'est tout
Soi
Sous le ciel ouvert
Fendu
Un éclair où le souffle est resté
Suspendu. "

              **

chemin tournant

IL y a un terrible gris de poussière dans le temps
Un vent du sud avec de fortes ailes
Les échos sourds de l'eau dans le soir chavirant
Et dans la nuit mouillée qui jaillit du tournant
des voix rugueuses qui se plaignent
Un goût de cendre sur la langue
Un bruit d'orgue dans les sentiers
Le navire du coeur qui tangue
Tous les désastres du métier
Quand les feux du désert s'éteignent un à un
Quand les yeux sont mouillés comme
des brins d'herbe
Quand la rosée descend les pieds nus sur les feuilles Le matin à peine levé
Il y a quelqu'un qui cherche
Une adresse perdue dans le chemin caché
Les astres dérouillés et les fleurs dégringolent
A travers les branches cassées
Et le ruisseau obscur essuie ses lèvres molles à peine décollées

Quand le pas du marcheur sur le cadran qui compte
règle le mouvement et pousse l'horizon
Tous les cris sont passés tous les temps se rencontrent
Et moi je marche au ciel les yeux dans les rayons
Il y a du bruit pour rien et des noms dans ma tête
Des visages vivants
Tout ce qui s'est passé au monde
Et cette fête
Où j'ai perdu mon temps

            **

LUCARNES


Le timbre et la pensée sous le battant énorme
retentissent dans la voûte, en marche vers le seul
point lumineux qui tremble, au bout du bras, des
branches, entre les feuilles.
Un coin de soleil entre les deux rochers, où la
bouche est ouverte, quand le vent se met à souffler.
Toutes les vitrines s'allument
Les fleurs qui bordent la prairie se baignent
Le soir
La même nuit sans lune.

Publié dans alliés substanciels

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article